PRÉHENSION D’ÉVANESCENCES
Dans des espaces quotidiens émaillés de vide, des corps, des silhouettes, des formes géométriques désirent nous raconter des histoires, des petites histoires intimes par le biais d’une image presque traumatique qui les sous-tend. Ce sera dans la salle de bain, dans la cage d’escalier, sur un banc (si j’ose dire presque dans un banc), devant un habitat, devant la porte d’une chambre vide que ces figures chercheront à prouver leur existence, à raconter quelque chose d’un autre instant, d’un temps qu’il nous est impossible de tenir.
Ces figures semblent vouloir nous dire quelque chose mais peinent à le faire tout à fait. Comme un « regarde Je disparais », comme la constatation de la perte de son moi dans un espace qui coule, disparaît, englouti, fond irrémédiablement mais qui cherche à se faire sentir, à se raconter tout de même avant de disparaitre. Des histoires d’attente, d’indécisions, d’introspection – des peurs à venir, des tendresses imprécises. Leur présence fantomatique semble vouloir nous narrer une histoire qui est déjà passée, sans qu’ils aient pu tout à fait en être acteur, à croire qu’ils nous racontent des faits à venir comme s’ils les avaient déjà vécu sans avoir bien pu y participer. Ils sont effacés, tendent à l’enfouissement, à la disparition et néanmoins constatent ce soupçon d’histoire qui les hante.
Ce sera dans le banal que l’inquiétude de cette disparition se fera sentir, que ces fantômes opéreront, du « pépé loulou » qui se voit réfléchi par le miroir un temps avant qu’il fût arrivé tout à fait devant, entrainant comme le déséquilibre du lavabo d’ablution et du temps tout entier vers sa disparition ; au « Vincent » se faisant fondre dans l’escalier de l’attente par les tomettes qui pavent ce même escalier, il s’agit comme de l’extraction d’une image dans une tragédie en train et pourtant déjà passée. À ce même « sans-titre », la palpation du corps de la figure par celle-ci semble entrainer son enfouissement dans l’espace instable d’une petite chambre, bientôt écrasé par le radiateur et le reste de la pièce.
Le paradoxe pour certaines de ces toiles comme la série « les nouvelles », images peintes à partir de capture de nouvelles télévisées, c’est que nous apparaît la figure, lorsque nous percevons leur disparition. Le militaire n’est que traces de peinture avant d’être perçu militaire et se dématérialise lorsqu’on le discerne, le camion apparaît rectangle vide avant de voir qu’il s’enfouit dans le non-peint. Ces figures de « nouvelles » télévisées n’ont de propos que leur vacuité et le verdict est clair, nous les voyons pour la dernière fois, ils n’ont rien d’autre à nous dire que leur disparition – et pourtant… Ne pourrait-on pas voir ici comme un sort jeté à ces images déchets qui envahissent nos imaginaires pour qu’elles disparaissent ? Ou encore l’effet qu’elles font à notre imaginaire lorsqu’elles nous percutent ? Dématérialisant l’imaginaire ? L’objet qui tue celui qui désire l’attraper.
Les peintures en plan large, où l’architecture prend davantage de poids, contiennent en elles l’hypothèse d’une stabilité tenant la figure en équilibre, mais celle-ci comme dans le diptyque Constant-Nicolas et Nicolas-Constant se plonge dans une solitude l’amenant à créer le double de son attente, deux attentes se toisant ; les lignes verticales d’un immeubles bleu plonge « Hiroshi» dans cette même solitude et dans l’attente d’Autres presque complètement disparus et lui tournant le dos. Aussi « Les maisons » semblent attendre la nuit et leur disparition dans un sol liquide, acceptant leur claustration.
Car il s’agit bien de ça. La mélancolie de la solitude définitive de la condition humaine se créant un espace fantasmatique, « pour ne pas disparaître » ou pour « disparaître mieux » où le temps peut continuer de passer. Où les fantômes disparaissent lorsqu’ils apparaissent et où « l’orage » devient conciliateur et permet de se tenir debout. Ce tableau met en scène un corps féminin nu prenant sa douche et cachant son visage comme pour se retrousser dans son fantasme où le contact de l’eau lui fait vivre ce qu’elle vit véritablement, un « orage » et tout en luttant contre la gravité lui permet de tenir debout. De même, le vide d’une chambre que la même figure regarde dans « prémonition » lui permet d’exprimer le déchirement d’une autre disparition, la refoulant dans cette même solitude, dans le silence apparemment serein d’un appartement sur un sol rouge proche de l’engloutir.
La multiplicité de ces absences/présences et le reliquat de ces figures sur le point de disparaître hantent les peintures de Coline Casse, nous plongeant dans cette solitude mélancolique où il faut perdurer dans tout ce qui nous entoure sur le point de nous ingurgiter.
Aurélien Lemonnier, 2019