COLINE CASSE, ÉLÉGIE À LA MAGNIFICENCE

Artiste plasticienne, née à Nîmes en 1985, passionnée d’image, Coline Casse mène un double cursus en peinture aux Beaux-Arts de Marseille tout en poursuivant l’option Cinéma à la Sorbonne. En 2010, elle obtient, avec félicitations, le DNSEP ainsi que sa licence Cinéma. Elle poursuit son travail de recherche à L’INSAS de Bruxelles durant trois ans, à l’issue desquels il est récompensé par les distinctions du jury.

Elle sillonne le temps et l’espace entre Bruxelles et ses terres du Sud de la France. Continuellement ressourcée de l’énergie urbaine et du calme des lieux repliés.

Solitaire, Coline découvre tôt le langage du sensible dont elle en cultivera une richesse de perceptions. Découvrant le théâtre de l’existence, ses douleurs, ses accidents, elle cherchera à en magnifier les blessures sans les mentir. A l’instar du kintsugi, cet art japonais qui, au lieu de les rendre invisibles, insensibles au souvenir, préserve à l’inverse les cicatrices en les révélant avec de l’or.

Tel sera son chemin du regard, la récolte du réel de l’artiste.

Son double parcours pictural et cinématographique renforce l’équilibre de son travail du cadrage et de la lumière. Coline rend hommage aux failles, à la matière brute et douce que travaille à la herse la fêlure du doute. Mettre son doigt dans la plaie, non pour endolorir, mais compatir à comprendre, accompagner pour embellir. Un travail de frontalité verticale, sans provocation ni agression. La vertébralité qui permet le tournis, le déséquilibre. Faire état du monde, tel qu’en lui-même sublime et vacillant d’un même élan, par endroits abîmé, nécessairement ; ici suspendu dans l’instant de sa fragile photogénie, sans fard. Délicatement recueilli dans le travail de Coline.

Les tableaux grands formats, tel l’écran d’un envers du décor, font front en douceur. Ils invitent à l’intériorité livrée à une ultime évidence, la grâce de la chute, le moment où s’abandonne la résistance et qu’il faille trouver le sursaut pour un salut. La beauté d’une mort métaphorique avant la pulsion de vie. Parce que la vie est là, quelque part, partout et tient tête. Elle ne demande qu’à reprendre possession de ses courbes après la sidération.

On perçoit l’effondrement, la mauvaise nouvelle, ce qui percute soudain dans le renfort des habitudes. Le vide de la rupture, la blessure, l’inconfort mutique et absolu. On pense soudain au chemin du pansement. On ressent fortement le vertige et cependant le soulagement ; un espace entre deux temps, la ligne de crête entre l’abîme et l’envol, le seuil entre l’avant et l’après. Un instant délicat à décrire, à écrire, à photographier, que l’on ne sait pas toujours dire, que l’artiste sait peindre. Le seuil où l’on ferme du monde ce que l’on en raconte, pour ouvrir de soi ce qui compte, depuis le fond des âges de l’archivage.

Et ces démons intérieurs, quelle que soit l’immensité qui les charme et les charrie, qui nous veulent du bien, prennent soin de nous, Coline en traduit leur nudité, ce garde-fou même dans l’invisible.

Un travail ample et apaisant.

Ce qui d’ordinaire effraie du réel et de l’inconscient, attire et active l’artiste. Dans l’atelier existentiel de la psyché, la tristesse, la chute, l’effroi, l’abandon, sont ici prépondérants au chemin vers la source du dépassement. Si la douleur est inévitable, le souffrir est l’intime d’un commencement. Les tableaux de Coline ont la solidité de murs porteurs qui, sans filtre, soutiennent et soulagent. Ils témoignent de ce qui fait mal pour créer l’apaisement, nidifier l’indulgence. La joie bientôt du plaisir d’être, d’appartenir à cette condition humaine mortellement grandiose, sans subir la fatalité incurable qu’elle nous brise à jamais. Au contraire, une chance, le cadeau de pouvoir s’écrouler, tel un pacte de sens et d’authenticité. Réinvestir sa chair en doute pour lui offrir de ressentir, d’assumer quelque chose de sage et d’heureux par empirisme, sa seule expérience. D’être par soi-même, à son propre compte. On a parfois besoin de s’effondrer, vraiment et au fond, pour rassembler les morceaux, d’où disparaît le négoce du monde et ses usages de faux. Un besoin de dévaliser le mensonge, la ruse, ce qui précipite à sa perte jusqu’au non–sens. On n’a que soi pour ça, dans ce vaste labyrinthe. Personne d’autre n’en connaît les mystères, les énigmes, les clés, l’enjeu. Il n’existe pas de recette, ni de science pour la séité de l’être. Chacun est son propre Sphinx.

Une peinture qui a quelque chose du deuil et de l’œil, par une matière fondamentalement colorée et lumineuse. La noirceur impulsive, primaire, vainement nihiliste, est éludée, tout au plus marque-t-elle le cerne de l’ombre, qu’un tranchant de lumière arrête net. Le désenchantement du monde est au cru d’une pleine lumière. Le ré-enchanter n’est pas impossible, mais une promesse. La génération de la jeune artiste est exactement au faîte de ce que les temps antérieurs lui ont légué de ruines, qu’il faille déboussoler pour (re)construire, désormais. Une régénération à partir de vestiges ; faire mémoire des trous et des plis.

La peinture de l’artiste témoigne en même temps d’un fondu et d’une fondation. De ce qui est et lui succède, ce qui vient. Ce qui survit / de vivre deux fois plus. L’artiste donne le change et tient la main. Elle touche à l’instant ténu de la fonte jusqu’à l’architecture, l’ossature sur laquelle pousseront des jardins. Ces mêmes demains gorgés du souvenir de l’abîme. S’aguerrir en douceur à l’issue du chagrin.

L’exposition n’a pas de titre. La narration colle au récit, presque documentaire. Champ large, focus subjectif, il se dispense même de mots, à vrai dire. Pas de titre, seules des légendes, un sentiment de saison, d’intuition : L’orage, Le carnaval, La prémonition. Les personnages ont les yeux baissés, détournés, recueillis sur leur mue, et pourtant nous regardent, par un biais d’ombre et de lumière. Ils nous saisissent de leur flou sublime, nous abîment et nous soulèvent. Ils nous ressemblent, nous rassemblent de l’intérieur.

Peindre prend le temps du soin. La convalescence du corps entre deux chutes, l’instant natif d’une renaissance. Une caresse après l’affront. Le travail de Coline Casse est à la fois documentaire et poétique, doucement percutant. Une épure cruelle et infirmière.

Une marche immobile, instant d’élégie pour un hymne à la magnificence.

Katia Jaeger