LE DERNIER PHOTOGRAMME
Coline Casse est peintre contemporaine. Ses grands formats l’huile, qui jouent des transparences et des épaisseurs nous questionnent et nous plongent dans l’ étrange et l’étrangeté.
Ici, les personnages apparaissent seuls. Comme figés. Au cœur d’espaces toujours très familiers : une chambre, un escalier, une douche, un parc dans la ville. On dirait que cet homme, cette femme sont là depuis la nuit des temps.
Il y a quelque chose de brut, de sale, de noir, de profond dans ses toiles. A notre tour, nous nous sentons pris de doutes, parfois tétanisés.
Les espaces semblent contaminer les personnages. A moins que ce ne soit l’inverse ? Que le chaos intérieur ne se soit propagé à la chambre, la salle de bain ?
Les jeux des transparences et des couleurs qui se répondent entre les visages, les corps et les espaces y sont sans doute pour quelque chose. Se confondant par endroits. Les décors semblent être des espaces mentaux de ceux qui les habitent, vibrants, vivants, chaotiques et aussi mouvementés que leur pensée.
Comme si les traces du pinceau matérialisaient la multitude de fluides par lesquels ces corps sont traversés, irrigués.
A l’image de nos profondeurs qui remuent et veulent remonter la surface ?
Mais surtout, les toiles nous plongent dans l’instant décisif. Un instant suspendu, comme avant l’implosion, incandescente. Les personnages en pause, pendant que les mouvements de leur pensée explosent dans l’infinité du monde.
Et si l’espace apparaît souvent violent, régit par des lignes verticales ou diagonales fortes, dures, cassantes, c’est en contraste avec les personnages esquissés de rondeur et avec douceur dans les traits.
Dans tous les cas, l’espace prend finalement toute la place pour nous plonger dans l’intimité d’un être..
Est-ce un secret ou un tourment trop lourd qui charge l’atmosphère ? Ou bien est-ce juste ce moment où la pensée a tout submergé ?
En regardant ces toiles, je ressens comme si c’était l’instant d’avant que tout ne s’évapore.
Comme au temps des projections en pellicule, lorsque que la pellicule brûlait devant le vidéoprojecteur : il y avait toujours ce moment où l’image restait en pause, suscitant un étonnement vif, un moment d’effroi aussi… juste avant que le feu ne perce et détruise l’image. Ce serait cet instant d’avant, celui du dernier photogramme, que Coline sauve invariablement. En pleine tempête.
C’est l’inquiétante étrangeté de l’être et du monde.
« Les coïncidences sont les seules choses qui nous permettent d’imaginer qu’il existe peut-être un ordre dans le chaos de l’univers.» Alberto Savinio
Claudie Chaize, 2018